jeudi, mai 25, 2006

Secret défense

C'est de Olivier Bonnet, reporter à l'excellent AgoraVox, un peu long pour un blog mais ça en vaut très largement la peine, Citoyens :

"En 1991, la France vend à Taïwan six frégates de guerre de la classe Lafayette, fabriquées par Thomson, pour un montant de 2,8 milliards de dollars. En novembre 1992, James Kuo, dirigeant de la Société générale de Taïwan, qui avait conçu le montage financier de la vente des frégates, est trouvé mort, défenestré. Le premier d'une longue série de décès suspects d'acteurs proches du dossier. Le 10 décembre 1993, le corps du capitaine Yin Chin-feng, officier responsable des achats de la marine de Taïwan, est retrouvé dans le port de Taipai, portant des traces de violents coups à la nuque.

Il s'apprêtait à révéler un scandale financier. Le soir du 10 octobre 2000, Thierry Imbot, officier de la DGSE (contre-espionnage français) chargé de la vente de six frégates à Taïwan, tombe du quatrième étage de son immeuble parisien. L'enquête conclut à une mort accidentelle, à la suite d'une « réparation de volet ». Le gardien de l'immeuble s'étonne : « Je suis formel, tout était éteint dans l'appartement au moment de la chute ». Le père de Thierry Imbot, qui n'est autre que l'ex-directeur de la DGSE, le général René Imbot, fait observer : « Quand on tombe d'une fenêtre, on tombe à la verticale. Le corps de mon fils était bien plus loin ». Sa tête est en effet à 4,5 mètres du mur. Le général révèle enfin que, peu avant sa mort, son fils lui avait confié que le contrat des frégates avait permis à certaines personnes en France de se constituer des « fortunes » et faisait état de menaces de mort pesant sur lui.

En mars 2001, Jean-Claude Albessard, ancien haut cadre de Thomson responsable du marché des frégates, décède à son tour, d'un « cancer foudroyant ». « Quelques jours avant, il était à son bureau et personne ne le savait malade », assure un de ses collègues. Le 18 mai 2001, Jacques Morisson, un cadre de haut niveau chargé chez Thomson des relations avec Taïwan, décède lui aussi, à l'issue d'une chute de cinq étages. Il habitait au deuxième mais aurait emprunté l'escalier de service pour monter au cinquième et se défenestrer. L'enquête conclut à un suicide. En 2001 toujours, Yves de Galzin, ex-représentant des missiles Matra à Taïwan, est enfin victime d'un « accident thérapeutique ». Sans compter que Jean-Luc Lagardère lui-même, patron de Matra, décède en mars 2003 d'une maladie nosocomiale, dont le corbeau Gergorin prétend qu'elle serait un empoisonnement criminel !

Au moment de la vente des frégates, Roland Dumas (PS) est ministre des affaires étrangères. Il parlera neuf ans plus tard, en 2000, de commissions pharaoniques, d'un montant de 5 milliards de francs, versées pour l'occasion à des intermédiaires chinois, de Pékin et de Taipei, selon la version officielle. « A des responsables industriels et à des hommes politiques français, selon toute vraisemblance », complète Le Nouvel Observateur.

Certaines de ses sommes transitent sur des comptes de la chambre de compensation financière luxembourgeoise Clearstream, voilà pour le rapport avec l'affaire dont on parle tant aujourd'hui. Chaque fois que des juges veulent enquêter en profondeur, il leur est opposé le « secret défense » (à l'occasion partiellement levé, mais jamais jusqu'à permettre d'atteindre le fond de l'affaire). D'abord en avril 2002 par Laurent Fabius (PS), alors ministre de l'économie, par son successeur Francis Mer (UMP), en juin de la même année, puis en janvier 2004 par Pierre Brochand, le directeur de la DGSE, avant qu'il ne soit à nouveau invoqué en mai 2004 par Michel Charasse (PS), ministre du budget à l'époque de la vente.

Dernier épisode en date, raconté par Le Point : l'année dernière, des juges viennent perquisitionner à Bercy pour une autre affaire et « tombent » sur des documents relatifs à l'affaire des frégates, dans le coffre du directeur de cabinet de l'actuel ministre de l'économie Thierry Breton, Gilles Grapinet. Ils préviennent alors immédiatement leurs collègues chargés des frégates. Mais Grapinet refuse que le dossier soit saisi : « secret-défense », encore et toujours ! Aussi ne peut-on que suivre François Hollande (photo ci-contre), premier secrétaire du PS, qui demandait hier que l'on lève le « secret défense » dans l'affaire des frégates de Taïwan. « Je suis pour la transparence la plus totale, lorsqu'il y a un doute, il faut (le) lever ». Il a raison, le bon François : qu'on cesse de noyer le poisson, de dire que l'affaire Clearstream est très compliquée, que les Français en sont lassés - forcément, on ne leur dit rien ! - et qu'on cesse de dissimuler la vérité au peuple.

Et aussi de taper sur la presse : même si certains médias apparaissent instrumentalisés au bénéfice du locataire de la place Beauvau, sans la publication de la déposition du général Rondot par Le Monde - qui se rattrape après avoir en son temps tenté de discréditer le travail de Denis Robert, premier à révéler l'affaire Clearstream -, puis les révélations du Canard enchaîné, nul doute que les Français ne sauraient rien de toute l'histoire"

1 commentaire:

Olivier Bonnet a dit…

Merci d'avoir repris mon article.
Cordialement