samedi, mai 28, 2005

La tentation de Venise

par ALAIN‑DOMINIQUE PERRIN, Président de la Fondation Cartier Pour l'art contemporain

François PINAULT s'en va. Merci la France …Bravo l'Italie ! Combien de temps et combien d'échecs va‑t‑il falloir encore aux français avant de se réveiller ? Ceux qui prônent le non aux élections européennes s'imaginent que la France peut se distinguer. Qu'ils ouvrent les yeux : elle ne peut déjà plus respirer seule. Pourrait‑on dire à tous ceux qui défilent dans nos rues, en ventant les bienfaits des 35 heures, l'appauvrissement des entrepreneurs et l'efficacité d'un service publie qu'ils contribuent à tuer ? Pourrait‑on dire à nos dirigeants politiques qu'ils sont élus pour oeuvrer à la bonne utilisation de nos impôts démesurés et pour accélérer la modernisation de ce pays ? Aux associations plus nombreuses que nos clochers de cesser de
contrecarrer les projets ambitieux ?

La médiocrité, la jalousie et la négligence sont à tous les rendez‑vous. Les entrepreneurs, les bâtisseurs, les créateurs, les chercheurs s'en vont. Demain, ce seront les médecins, les avocats. Les grands chefs, les champions, les entraîneurs, les artistes vont voir ailleurs et, maintenant le plus grand de nos collectionneurs, qui se trouve être aussi l'un des plus grands de nos patrons et de nos mécènes, tourne le dos à son pays. Comme je comprends sa lassitude comme je le soutiens !

La fondation Cartier a fêté l'an dernier ses vingt ans. Mais à quel prix ! A chaque contrôle fiscal (trois, quatre, peut être cinq), elle a été montrée du doigt par l'administration et menacée de mort. A chaque fois, après des « explications de texte » et des négociations interminables elle a sauvé sa peau. Mais pour combien de temps ? En France, l'initiative privée est suspecte et la réussite, condamnée. Lorsque la Fondation Cartier pour l'art contemporain est née, en 1984, c'était déjà l'aventure. Mais malgré tout, les temps étaient moins hostiles.

En vingt et un ans, la France s'est embourbée, endormie, nécrosée. Elle vieillit mal. Et si la Fondation Cartier était à refaire... Est‑il né, l'homme ou la femme qui fera de la France ce que Margaret Thatcher et Tony Blair (droite et gauche !) ont fait du Royaume‑Uni ? Est‑il né, celui qui s'engagera à tuer la pieuvre qui nous étrangle, à faire table rase, à entreprendre ? Nous avons quatre fois plus de fonctionnaires qu'en Grande‑Bretagne et les « British » font mieux seuls ce que l'on fait à quatre. Nous avons deux fois plus de chômeurs.

Blair à peine réélu, j'entends déjà que le modèle britannique n'est pas transposable à notre pays. Mais voyons, c'est le nôtre qui n'est plus transposable ! Les ambitions et les idées se meurent. Les initiatives prennent l'eau. Certes, nos avions volent, nos trains roulent. Mais qui les a fait naître ? Les entrepreneurs, les travailleurs, les créateurs, les ingénieurs. Ceux‑là même qui s'en vont !

Mesdames et messieurs les élus, fonctionnaires et membres éminents d'associations pétris de certitudes drapés dans vos textes et vos procédures, que deviendrez vous demain lorsque vos victimes auront toutes disparu ? Ferez vous comme les Cathares, vous jetterez vous au feu ? N'y avait il personne pour comprendre l'enjeu du magnifique projet de François Pinault ? Pour taper du poing sur la table ? décider ? Travailler ? Gagner tout simplement ? Faire preuve de cette autorité qui n'existe plus et qu'il faudra bien, lorsque la France aura vraiment touché le fond, restaurer ? La lenteur et la paresse de l'administration française engendrent les renoncements.

Le projet avorté de l'île Seguin est révélateur d'un malaise profond, bien au‑delà des considérations culturelles qu'il impose. Nos actes fondateurs se résument à mettre du sable sur les bords de Seine lorsque l'été arrive et à bloquer les rues le jour où le Comité international Olympique est en visite officielle à Paris. François Pinault avait fait un rêve. C'est devenu un cauchemar. Sa générosité, son amour de l'art, ses entreprises, ses richesses, son talent, son sourire, sont français. Mais c'est à Venise qu'il se réveillera. En Italie, ce pays du Sud qui a allégé les droits de succession et les impôts.

J'ai longtemps espéré que la Fondation Cartier se sente moins seule. Aujourd'hui, je suis en colère.
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